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Jeunesse contre décadence

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Jeunesse contre décadence Empty Jeunesse contre décadence

Message par Baptiste Mar 7 Sep - 16:57

Jeunesse morale, vieillesse morale ne sont pas affaire de calendrier, vieillesse est synonyme de décadence et on peut être vieux à tout âge." Le génie, c'est la jeunesse plus forte que le temps, la jeunesse immarescible" (François Mauriac / Le jeune homme / 1925)

Nous jetterons un regard sans pitié sur tous les gestes de décadence, car il y en a beaucoup autour de nous et en nous. Nous apprendrons à ne pas mesurer notre âge au rythme des pendules ou des feuillets des calendriers. On peut être jeune à tout âge, on peut être vieux à tout les instants, car c'est en soi qu'on porte l'âge et non dans les cartons poudreux d'une mairie. On est vieux quand on est malade, même à vingt ans, et qu'on regarde en soi et devant soi avec des yeux qui ont peur de voir. On est vieux quand on ne sent plus que le flot lumineux des souvenirs qui vous accablent et quand on s'abandonnent au mécanisme automatique des habitudes acceptées. La vieillesse est un esclavage ; elle est sujétation sans révolte sous le poids d'un passé qui peut être récent. Le lionceau qu'on emt en cage est vieux du jour où il renonce à briser les barreaux.

Si vous m'accordez que ce sont bien là signes de vieillesse morale, vous reconnaitrez avec moi que c'est là le mal dont l'homme est toujours menacé. Tel homme que je croise se donne un air pensif profondément ; je cherche en lui un front sans rides, un sourire sans amertume ; j'aimerais même avec des larmes car la jeunesse seule peut en avoir ; et je ne trouve rien de tout cela. Sa pensée faussement profonde est stérile : lorsqu'il parle, si ce n'est d'affaires, c'est du regret d'hier ou de l'appréhension de demain. Je sens confusément qu'il m'ignore, qu'il n'a nul besoin de me connaitre, c'est-à-dire de me détester ou de m'aimer : les hommes sont pour lui des choses, rien de moins, rien de plus.

Il y en a des choses qui passent pour jeunes aux yeux de tous et même aux leurs. Jeunesse de calendrier ! Leur ignorance systématique de ce que les a précédés leur tient lieu de virginité, comme à des amnésiques. Mais demandez-leur des signes positifs de jeunesse et vous serez édifiés. Quand je leur parle de l'esprit, ils pensent à de vieilles histoires où de pauvres hommes chétifs perdirent leur temps. Eux, se disent intelligents parce qu'ils savent manier certains leviers subtils mais efficaces que les physiciens n'ont pas étudiés, avec quoi l'on se met en place et s'élève en s'appuyant sur ceux qui auraient besoin de s'appuyer sur eux. La sève qui bouillonne en eux s'échappe par des exutoires, et quand je leur demande où est leur coeur, ils me montrent leur chronomètre et la poche de leur veston.

Voilà le décadent : on le reconnait à ce signe qu'il joue au jeune s'il est vieux et qu'il joue au vieux s'il est jeune. Mais d'être un homme, jamais il n'a souci. Et c'est ainsi que tend à s'installer une cité de mort et d'esclavage. Les décadents se laissent emporter par leur précoce sénilité dans la tombe où il n'y aura sceller la lourde dalle. Ils prennet goût à l'ombre constante des choses sans vie. La nuit du sépulcre leur plaît parce qu'elle est légère à leurs yeux de vieillards, et les plis du linceul, parce qu'ils ne se dérangent pas. De ce tombeau, ils font leur demeure commune, et ils ont baptisé vie leur séjour au tombeau. On n'y voit rien ? Qu'importe. Il est si bon de ne rien voir. Leur délicatesse est si grande que pour sauver leur vue ils laisseraient s'éteindre le soleil. Ils aiment tout cela parce que tout cela est tranquille. Ils ont vaguement organisé cette tombe commune, et dans l'ombre et le silence de la mort, ils ne percoivent même pas l'immense senteur de pourriture qui monte de tous leurs cadavres accumulés.

Et je pense à tous ceux qui vécurent longtemps et qui pourtant moururent jeunes : pour quelques choses qui les dépassait. Ce sont les promoteurs sans équivoque des grandes valeurs de l'esprit. Ceux-là, un Dieu les habite, et c'est Beethoven qui pour des siècles aliment l'humanité la grave et virile joie pétrie de son amour pour l'homme, sur un clavier que n'entendaient plus ses oreilles, mais qui chantait au profond de son coeur ; et c'est Pasteur qu'habite le Dieu de la Science, non pas celui de la vaine érudition qui tue, mais celui de la recherche lente, patiente, scrupuleuse et pourant toute vibrante du même amour pour l'homme et pour la vérité. Et par delà tous ceux qui de près ou de loin leur ressemblent, les grands promoteurs de valeurs que nous avons trouvées à l'origine des grands thèmes moraux de notre civilisation.


Georges Bastide / Les grands thèmes moraux de la civilisation occidentale / 1958
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